C’est un grand plaisir pour moi de partager dans cet article ma dernière expérience vécue au pays du Shiatsu. Mes séjours au Japon sont toujours remplis d’une joie immense, certainement nourrie par mon attrait pour cette culture unique, remontant à mes débuts dans la pratique des arts martiaux japonais. L’équilibre admirable trouvé par ce pays entre tradition et modernité ne cesse de m’étonner. Les japonais conservent une forme de délicatesse et d’élégance, s’illustrant notamment par un sens du civisme exceptionnel. Le respect des lieux et des biens publics, tient une place centrale dans la société. Le sens du collectif y est remarquable. Le goût et le raffinement s’immiscent dans (presque) tout. De nombreuses activités culturelles et sportives sont élevées au rang d’art : art culinaire nihon ryōri, art du thé japonais chanoyu, art théatral et kabuki, arts martiaux budō, art floral ikebana, art de l’estampe ou ukiyo-e, art du silence zen ou mu, art des tissus kimonos gofuku, art céramique tojiki ou togei, art des poupées kokeshi, etc… et bien entendu le shiatsu n’y échappe pas. On parle alors d’art du toucher ou plutôt d’art des appuis.

Mais laissons de côté ces aspects culturels passionnants pour nous intéresser au shiatsu. Il est bon de rappeler que le shiatsu est une médecine reconnue au Japon. Pour devenir praticien, il faut effectuer une formation pouvant se dérouler au sein de différentes écoles de shiatsu. Parmi les incontournables, celle de NAMIKOSHI (la plus importante), KURETAKE (la plus ancienne) ou encore MASUNAGA (la plus connue en France). Les écoles de médecine orientale japonaise agréées par le Ministère de la Santé proposent particulièrement, deux cursus distincts « Amma, Massage et Shiatsu » et « Acupuncture et Moxibustion » que l’on peut suivre individuellement ou simultanément afin de préparer les diplômes d’État respectifs. Le programme enseigné est dense et dure en moyenne 3 ans. Il n’existe pas au Japon de diplôme officiel de shiatsu uniquement. La pratique du shiatsu est souvent désignée massâji qui décrit une prestation composée de techniques de pressions, toujours effectuée sur des vêtements. Le mot massâji n’est employé dans le sens restreint de massage occidental, que lorsqu’il est opposé aux termes shiatsu ou amma, ou dans le cas du massage aux huiles oiru massâji. Au-delà du shiatsu, il existe un grand nombre de thérapies manuelles corporelles s’étendant des soins détente bien-être au thérapeutique médical.

C’est donc à Tokyo au sein de l’école NAMIKOSHI et de l’école KURETAKE que j’ai pu réaliser successivement deux stages en février 2017.

L’école NAMIKOSHI ou Japan Shiatsu College se situe dans un immeuble imposant situé à Koishikawa-Tokyo. Quatre niveaux sont dédiés aux formations. Un espace est également réservé aux activités libérales avec mise à disposition d’un cabinet dédié aux séances individuelles. Le stage s’est déroulé au 3ème étage normalement occupé par les étudiants en dernière année. La salle très grande est garnie de moquette verte et de tapis individuels bleus. L’encadrement de «prestige» est assuré par NAMIKOSHI Yuji, petit-fils du fondateur NAMIKOSHI Tokujiro, en binôme avec OSAWA Masahiro, assistés de YOKOTSUKA Hideki. Concernant les praticiens formateurs agréés, la coutume locale est de rajouter la particule sensei après le nom de famille. En préambule de la formation, le règlement intérieur est énoncé avec un rappel du lieu, un dojo de shiatsu, suivi par les grands principes qui sont de ne pas bavarder pendant la pratique, pratiquer la bonne posture, pratiquer en répétant les fondamentaux, chercher à s’approprier la quintessence du shiatsu qui consiste en un diagnostic et un traitement immédiat, ne pas pratiquer dans le dojo de techniques d’autres écoles, et plus original, ne pas fumer ! NAMIKOSHI sensei rappelle les 5 principes de santé : bien manger, bien dormir, bien évacuer, bien travailler et bien rire. Le fondateur NAMIKOSHI Tokujiro a émis l’idée essentielle et primordiale dans son courant shiatsu, celle du shiatsu du kokoro心 ouこころ évoquant le cœur, l’âme, l’esprit, la sensibilité. Le fondateur disait Quand le visage sourit, l’estomac sourit et Quand le visage est en colère, l’estomac est en colère. En réalité, l’affectif a une répercussion immédiate sur les organes internes, c’est pourquoi le shiatsu du cœur kokoro no shiatsu est aussi indispensable que le shiatsu du corps pour réactiver les organes internes. Les 5 fonctions du shiatsu sont ensuite abordées : fonctions excitative, sédative, réflexologique, drainante et corrective. Au programme, l’étude de procotoles des membres inférieurs en position décubitus dorsal et ventral, et, des régions des épaules, du cou et du dos en position latérale. Le déroulement est le suivant : le sensei montre et explique les techniques puis on pratique. Le sensei passe et corrige. L’atmosphère globale est studieuse. La concentration est de mise. On recherche la forme correcte, la bonne posture et on exécute les katas(1) c’est-à-dire la répétition des techniques et des postures, encore et encore… La trame de fond d’étude est celle que l’on connait bien dans les arts martiaux comme en judō, karate, kendō, aikidō, iaidō, kyūdō. L’idée est de regarder la démonstration de l’enseignant, puis de pratiquer, ressentir, répéter, corriger, répéter, ressentir, répéter, ajuster, etc… la pratique se déroule dans une ambiance à la fois joyeuse et rigoureuse. L’équipe japonaise est réellement souriante. Le tenugui(2) est utilisé pour protéger les coussins et pour faciliter les pressions sur certaines zones du corps du receveur. Avant la conclusion du stage, un échange verbal est proposé ; d’abord sur les ressentis de chacun puis sur la nécessité de s’exercer continuellement afin de promulguer un shiatsu de qualité. Enfin, la formation se termine avec la remise d’un certificat en présence du président NAMIKOSHI Kazutami, fils du fondateur, accompagné de son assistante et du photographe officiel du Japan Shiatsu College.

Le second stage est animé par OKAMOTO Masanori, formé par SAKIKABARA sensei, ayant lui-même suivi le cursus NAMIKOSHI comme la grande majorité des praticiens en shiatsu au Japon, y compris les plus célèbres comme MASUNAGA Shizuto. Le style KURETAKE, de Kuré traduit par venant de l’ouest, couchant [le paradis bouddhique venant de l’ouest] et de Také, bambou, met l’accent sur l’hygiène du praticien. En effet, à partir de la méthode globale NAMIKOSHI, certaines techniques ont été modifiées, rajoutées ou supprimées afin de préserver la santé du praticien, ceci pour ne pas en faire moins, mais au contraire en faire mieux. L’un des objectifs est de limiter l’usure et la fatigue corporelle du praticien. L’articulation métacarpo-phalangienne du pouce et l’ensemble du dos sont particulièrement préservés. Les katas appris permettent de garder une efficacité certaine dans les soins des patients et de limiter la fatigue du praticien surtout lorsqu’il enchaine plusieurs personnes par jour. Le directeur actuel OKAMOTO sensei exerce en cabinet et est le représentant officiel de l’école KURETAKE. Son vœu est de partager son savoir, divulguer son art shiatsu au plus grand nombre, aussi hors du Japon. Les japonais ont cette particularité, ce souhait de partage et de diffusion de leur savoir. Accompagné par plusieurs praticiens (ses anciennes élèves comme YOKOZAWA Hitomi, OMUKAI Asuka), OKAMOTO sensei débute par une introduction théorique rappelant les 3 principes de pression : principe de perpendicularité de la pression, principe de maintien de la pression et principe de concentration. Puis, il énonce les 3 paramètres qui permettent le kata juste : le placement du praticien, la posture du praticien et du patient, et la direction et l’amplitude du transfert du poids corporel du praticien. Il termine enfin, par les 5 conditions pour pratiquer sans fatigue : utiliser le principe du levier et les forces de réaction d’appui au sol, adopter une posture sans contrainte pour le bas du dos avec les épaules au même niveau, adopter une posture permettant le maintien d’une pression stable, réduire au minimum l’amplitude du transfert du poids corporel et ne pas pencher le buste vers l’avant lorsque les jambes sont immobilisées. Le programme porte sur le shiatsu du stress, l’hypertension, les lombalgies d’origine articulaire et myo-fasciale et les névralgies sciatiques. OKAMOTO sensei demande une attention constante, nécessaire à l’assimilation rapide de nombreuses techniques. Les appuis et les mobilisations sont répétés sur un rythme plutôt élevé. On recherche la bonne posture, le principe de levier, la précision des déplacements, l’intensité des appuis. Le stage se conclut par un échange de Omiyage, petits cadeaux, la remise d’un certificat et par les traditionnelles photos.

Ces deux styles shiatsu sont incontournables au Japon. L’approche énergétique n’y est pas, ou très peu abordée. Ces courants shiatsu s’affichent clairement comme bio mécaniques, ostéo-articulaires où le bon enchainement des katas reste la priorité. L’essence shiatsu est une quête d’excellence : recherche de la précision, du geste juste, des appuis adéquats, des postures stables, des déplacements fluides. Le diagnostic est réalisé en temps réel lors des pressions effectuées sur le corps. L’efficacité en termes de soulagement et de détente est redoutable.

Au-delà des formations, ces séjours ne me paraitraient pas complets sans échanger et recevoir des soins shiatsu, avec des enseignants japonais de renom comme MASUNAGA Haruhiko, FUJISAKI Nobuyuki ou encore avec des praticiens professionnels en shiatsu et en seitaii moins connus, installés en cabinets privés mais aussi dans des centres comme l’Itô-shiatsu center où l’on peut acheter des massages shiatsu. Le principe : un soin d’une durée variable à choisir, de 15 min pour environ 10 euros jusqu’à 120 min pour environ 100 euros. L’expérience vaut le détour !

Le 25 février 2017,

Antoine DI NOVI
Praticien en shiatsu
Diplômé de l’Institut Français de Shiatsu, Paris 5
Certifié de la Fédération Française de Shiatsu Traditionnel, Paris
Certifié en shiatsu au Japan Shiatsu College (Ecole Namikoshi), Tokyo, Japon
Certifié en shiatsu Kurétaké (Ecole Kurétaké), Tokyo, Japon

(1) En japonais, le mot kata a trois sens principaux avec des kanji différents : Façon : 方 c’est à dire manière, orientation, direction ; Forme : 形 c’est à dire tracer avec le pinceau une ressemblance exacte ; Moule : 型c’est à dire forme originale faite en terre ou forme idéale, loi, habitude. Le but du kata est double : travailler des gestes, des postures, des déplacements dans des situations données et découvrir les principes fondamentaux d’un art comme la gestion des distances (ma ai), l'attitude et la gestion de l'équilibre (shisei), la coordination des mouvements. Il a pour but le travail de la technique, du kime (puissance), de l’intensité (pression juste).
(2) Le tenugui 手拭 ou手ぬぐい est une fine serviette japonaise en coton qui mesure généralement 35 par 90 centimètres. Elle est parfois ornée du nom de la famille ou imprimée de motifs divers, notamment traditionnels. Le tenugui sert comme mouchoir ou comme n'importe quelle autre serviette, pour la cuisine, les mains, la vaisselle, le sport chanbara ou kendo par exemple mais aussi comme souvenir ou décoration. Les tenugui sont très utilisés dans le shiatsu notamment pour couvrir la tête et le front du praticien servant ainsi d’éponge afin d’éviter les désagréments éventuels d’une transpiration coulante sur le patient, et, pour recouvrir les parties corporelles du patient sur lesquelles les appuis sont effectués par le praticien.

Lire l’article paru sur le site officiel du Japon Shiatsu College Praticiens français en shiatsu au Japan Shiatsu College

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